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Démembrement de propriété et article 751 du CGI, quand l’administration fiscale doute par principe de la sincérité du contribuable

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La propriété d’un actif confère un droit de jouissance sur celui-ci.

Ce droit peut s’exercer directement (usage du bien) ou indirectement (perception d’un loyer). La propriété est un droit perpétuel et la jouissance qu’elle procure s’exerce dans le temps sans limitation, seul le titulaire de ce droit (propriétaire) changeant lors d’une transmission à titre onéreux (vente) ou gratuit (succession, donation).

Arrivé à un certain âge, un propriétaire peut estimer que son besoin de jouissance de son bien est limité dans le temps à la date de son décès, que le droit d’en jouir postérieurement à sa mort ne présente pas d’utilité pour lui et qu’en conséquence une propriété pleine n’est pas le droit dont il a besoin.

Pour créer ce partage de la propriété dans le temps, la solution juridique est son démembrement. Démembrer consiste à scinder le droit de propriété en deux droits successifs : l’usufruit (jouissance jusqu’à la mort) et la nue-propriété (jouissance après la mort de l’usufruitier). Le démembrement de propriété est donc un outil permettant de structurer son patrimoine en anticipant sa succession par la transmission de la nue-propriété avec conservation d’un usufruit viager, c’est-à-dire un droit de jouissance de l’actif pour le restant de sa vie.

Précisons que l’utilité de la jouissance post-mortem ne doit pas s’apprécier au regard d’un usage matériel forcément nul, mais en termes de valorisation patrimoniale. Car en effet, cette nue-propriété a une valeur qui ne fait que croître au fil du temps à l’approche du décès de l’usufruitier. S’en dessaisir n’est donc pas neutre et conduit à un appauvrissement du patrimoine.

Pour illustrer cela, imaginons un immeuble d’une valeur de 100 000 euros détenu par un individu ayant 61 ans, et dont l’espérance de vie est de 20 ans. A cette date, nous pouvons (grossièrement) estimer la valeur de la nue-propriété à 60 000 euros, et celle de l’usufruit à 40 000 euros. Cela signifie donc que le droit de jouir de l’immeuble de l’année N à l’année N+19 (usufruit) vaut 40 000 euros, et celui d’en jouir à partir de l’année N+20 (nue-propriété) vaut 60 000 euros.

Mécaniquement, la répartition de la valeur de la pleine propriété entre l’usufruit et la nue-propriété évolue au fil du temps, avec une augmentation de la valeur de la nue-propriété et une baisse équivalente de la valeur de l’usufruit.

Ainsi, au décès de l’usufruitier, la nue-propriété atteint la valeur de la pleine propriété, qui se reconstitue sur la tête de son titulaire du fait de l’expiration de l’usufruit.

Transmettre la nue-propriété à ses enfants conduit donc à transmettre une valeur patrimoniale qui augmentera avec le temps. Certes, l’usufruitier se réserve la jouissance et donc les revenus tirés de l’actif démembré, mais la valeur de la nue-propriété se matérialisera financièrement en cas de vente de l’actif. En effet, dans cette situation et sauf convention contraire, le prix de cession sera réparti entre usufruitier et nue-propriétaire selon la valeur respective de leur droit (article 621 du code civil). Cela confirme donc bien que la transmission de la nue-propriété conduit à une transmission patrimoniale qui n’est simplement pas liquide. Sur un plan fiscal, un parent se retenant la pleine propriété des actifs transmet potentiellement un fardeau fiscal à ses enfants. En effet, au moment de la liquidation de la succession, la valeur du patrimoine est taxée aux droits de succession. Potentiellement, le taux d’imposition peut monter jusque 45% en ligne directe (parent-enfant).

A l’inverse, transmettre la nue-propriété à ses enfants, à une période où celle-ci a une valeur très inférieure à celle de la pleine-propriété, présente un intérêt sur le plan fiscal.

Dans notre exemple précédent, donner la nue-propriété à 61 ans permet de n’être taxé « que » sur une base de 60 000 euros. Vingt ans plus tard, au décès du parent, l’enfant récupère automatiquement la pleine propriété du bien et il n’y a pas de taxation supplémentaire car l’usufruit aura expiré et la propriété sera reconstituée pleinement sur sa tête en sa qualité de nu-propriétaire. Il y a donc un effet de réduction de la base soumise, mais aussi potentiellement une réduction du taux d’imposition global de la transmission du fait de la progressivité du barème des droits de mutation à titre gratuit (sous réserve de ne plus être dans la période de rappel fiscal).

Le démembrement de propriété permet patrimonialement de conserver la jouissance directe et indirecte du bien tout en transmettant un morceau de patrimoine à ses enfants, et fiscalement de réduire l’assiette de taxation aux droits de mutation à titre gratuit (droits de donation ou succession).

Face à cet intérêt fiscal majeur, de nombreux schémas sont envisageables pour placer les contribuables dans des situations de propriétés démembrées. C’est pour cela que l’administration fiscale émet, dans certains cas, un doute de principe sur la sincérité des opérations conduisant à un démembrement de propriété entre un individu et ses héritiers. En effet, l’article 751 du code général des impôts conduit à taxer la valeur de la pleine propriété des actifs démembrés au jour de la succession, comme le défunt n’était pas un simple usufruitier mais un plein propriétaire.

La lecture de cet article permet de cerner les différents paramètres pris en compte par l’administration fiscale pour définir le champ d’application de la présomption :

1/ L’usufruitier doit, évidemment, être le défunt.

2/ Le nu-propriétaire visé doit être :

  • un des présomptifs héritiers ou descendants de l’usufruitier,
  • un donataire ou légataire de l’usufruitier,
  • une personne interposée.

3/ Toutes les opérations sont visées, avec toutefois des exceptions :

  • donation régulière de la nue-propriété, sauf si celle-ci a été consentie moins de trois mois avant le décès de l’usufruitier.
  • donation constatée dans le contrat de mariage
  • démembrement de propriété effectué à titre gratuit, sauf s’il a été réalisé moins de trois mois avant le décès de l’usufruitier.

Le champ des opérations concernées par cette présomption de fictivité concerne donc principalement les opérations à titre onéreux (vente de la nue-propriété d’un parent à son enfant), l’achat conjoint de la nue-propriété et de l’usufruit etc…

Fort heureusement, la présomption de fictivité posée par l’article 751 du CGI peut être levée par une preuve contraire apportée par le contribuable. Dans ce cas, il n’y aura plus de taxation de la pleine propriété, et le nu-propriétaire récupérera mécaniquement la pleine propriété par suite d’extinction de l’usufruit.

Les moyens de preuves sont nombreux. S’agissant d’une opération réalisée à titre onéreux, la traçabilité des fonds (emprunt, donation de derniers …) est indispensable pour démontrer que la nue-propriété a effectivement été acquise et payée par l’enfant/héritier.

Dans le cas d’un décès de moins de trois mois après une donation ou un démembrement effectué à titre gratuit, s’il est possible de démontrer que le donateur (usufruitier) était en bonne santé au jour de la donation et que son décès soudain n’était donc pas anticipé, la présomption de fictivité peut être écartée. Une attestation du médecin traitant est par exemple un élément de preuve admis.

En synthèse, le démembrement de propriété est un outil très puissant en matière d’organisation de son patrimoine et de sa transmission. Son utilisation peut s’avérer périlleuse car le dessaisissement de la nue-propriété peut paraître indolore pour l’usufruitier qui conserve un droit de jouissance, mais il ne fait aucun doute, comme nous l’avons démontré ci-dessus, qu’elle donne lieu à un appauvrissement patrimonial.

Par ailleurs, l’article 751 du CGI pose le principe de la fictivité des démembrements pour le calcul des droits de succession, anéantissant ainsi potentiellement tout l’intérêt fiscal d’une telle opération si elle n’est pas menée et pilotée par des professionnels. Enfin, soulignons que les personnes morales détentrices de la nue-propriété ne sont pas des « personnes interposées » au sens de cet article, y compris si les associés sont les héritiers de l’usufruitier. Ainsi, la création d’une SCI détenue par les enfants acquérant la nue-propriété d’un bien immobilier dont l’usufruitier est leur parent n’est pas sujette à la présomption de fictivité.

Article 751 du CGI – Version en vigueur au 7 juin 2013

« Est réputé, au point de vue fiscal, faire partie, jusqu’à preuve contraire, de la succession de l’usufruitier, toute valeur mobilière, tout bien meuble ou immeuble appartenant, pour l’usufruit, au défunt et, pour la nue-propriété, à l’un de ses présomptifs héritiers ou descendants d’eux, même exclu par testament ou à ses donataires ou légataires institués, même par testament postérieur, ou à des personnes interposées, à moins qu’il y ait eu donation régulière et que cette donation, si elle n’est pas constatée dans un contrat de mariage, ait été consentie plus de trois mois avant le décès ou qu’il y ait eu démembrement de propriété effectué à titre gratuit, réalisé plus de trois mois avant le décès, constaté par acte authentique et pour lequel la valeur de la nue-propriété a été déterminée selon le barème prévu à l’article 669.

La preuve contraire peut notamment résulter d’une donation des deniers constatée par un acte ayant date certaine, quel qu’en soit l’auteur, en vue de financer, plus de trois mois avant le décès, l’acquisition de tout ou partie de la nue-propriété d’un bien, sous réserve de justifier de l’origine des deniers dans l’acte en constatant l’emploi.

Sont réputées personnes interposées les personnes désignées dans l’article 911, deuxième alinéa, du code civil.

Toutefois, si la nue-propriété provient à l’héritier, au donataire, au légataire ou à la personne interposée d’une vente ou d’une donation à lui consentie par le défunt, les droits de mutation acquittés par le nu-propriétaire et dont il est justifié sont imputés sur l’impôt de transmission par décès exigible à raison de l’incorporation des biens dans la succession. »

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