Publiées le 30 décembre 2015, les lois de finances 2016 et de finances rectificative pour 2015 contiennent moins de mesures charismatiques que ces dernières années. Les dispositions les plus commentées ces dernières semaines sont celles relatives à la perception de dividendes dans le cadre de l’intégration fiscale.
Le principe de l’intégration fiscale
L’intégration fiscale consiste à consolider fiscalement les résultats d’une société mère avec ceux de ses filles détenues à 95% ou plus. Ce régime permet notamment de neutraliser les profits internes (plus-values sur cessions d’immobilisations entre sociétés membres) et de compenser les déficits de filiales en pertes avec les profits de filles bénéficiaires.
Ce régime est généralement fiscalement favorable, sauf dans le cas particulier des groupes de PME où les sociétés remplissent les conditions pour bénéficier individuellement du taux réduit d’IS réservé aux PME (15% dans la limite de 38 120€). Par simplification, nous ignorerons cette particularité ci-après.
Notons enfin qu’une fille ne peut opter pour son intégration que si elle remplit certaines conditions :
- Etre détenue à 95% ou plus par la société intégrante ;
- Etre soumis à l’IS ;
- Etre établie en France.
La fiscalité des dividendes internes
Lorsqu’une société mère perçoit des dividendes d’une fille, dès lors qu’elle détient au moins 5% de son capital pendant au moins deux années, elle bénéfice d’une exonération sur ce profit au motif qu’une imposition conduirait à une double imposition à l’IS : il s’agit du régime mère-fille. La société mère doit toutefois réintégrer dans son résultat une quote-part de frais et charges de 5%. L’exonération réelle est donc de 95%, et le dividende perçu sera donc taxé à l’IS à hauteur de 1,67% (5% x 1/3) en régime mère-fille.
Par exception, lorsque la fille et la mère sont intégrées fiscalement, la consolidation des résultats fiscaux donnent lieu à la neutralisation de la quote-part de frais. Autrement dit, les dividendes internes sont intégralement exonérés en intégration fiscale.
Exemple : Soit une société F qui verse à sa société mère (M), qui la détient à 100%, 500k€ de dividendes.
Grâce au régime mère-fille, la société M n’inclura dans son résultat fiscal qu’une quote-part de 25 000€ (5% x 500k€) et payera un IS de 8 333€.
En revanche, si les deux sociétés appartiennent à un groupe intégré (dont la mère peut être une autre société que M), alors la quote-part de 25k€ est déduite dans le résultat d’ensemble et le groupe ne subit aucune imposition d’IS au titre de ces dividendes.
L’intégration fiscale se montre donc très intéressante en présence de dividendes internes élevés.
L’arrêt Steria du 2 septembre 2015 (CJUE)
http://curia.europa.eu/jcms/upload/docs/application/pdf/2015-09/cp150092fr.pdf
L’arrêt Steria rendu par la cour de justice de l’Union Européenne a fait des vagues. La juridiction européenne estime contraire au principe de liberté d’établissement la fiscalisation différenciée des dividendes perçus en fonction du lieu d’établissement de la filiale distributrice.
En effet, comme nous l’avons indiqué ci-dessus, seules les filles dont le siège est établi en France peuvent opter pour leur intégration dans le groupe fiscal. Ainsi, une fille dont le siège est situé dans un pays de l’union européenne autre que la France ne peut être intégrée. Le groupe subit alors une imposition limitée de 1,67% (régime mère-fille) sur les dividendes perçus de cette fille.
La liberté est entravée dans la mesure où cette imposition aurait été nulle si la fille avait eu son siège en France et était intégrée avec la mère.
La réforme du régime de l’intégration fiscale
Le gouvernement Français était donc dans l’obligation d’aligner la fiscalité applicable sur les dividendes perçus :
Compte-tenu de l’état des finances publiques, il n’a jamais été réellement envisagé d’étendre la neutralisation de la quote-part de 5% à l’ensemble des dividendes perçus par un groupe intégré, que la fille soit dans le périmètre intégré ou non.
A l’inverse, Bercy a envisagé de supprimer la neutralisation dans le résultat d’ensemble de la quote-part de frais et charges pour tous les dividendes internes. Ainsi, que la fille soit située en France ou dans un autre pays de l’UE, le dividende perçu par la mère aurait été taxé à 1,67% d’IS.
Face à une levée de boucliers, la loi de finances adoptée prévoit une solution intermédiaire :
Les dividendes perçus par un groupe font désormais l’objet d’une imposition à hauteur d’une quote-part pour frais et charges de 1% (soit une imposition de 0,33%). Cette règle s’applique aussi bien pour les dividendes perçus de filiales française intégrées, que pour ceux perçus de filiales dont le siège est situé en Union Européenne mais remplissant l’ensemble des autres conditions de l’intégration fiscale (être soumis à l’IS ou un impôt équivalent, être détenue à 95% par la société mère). Ainsi, la liberté d’établissement est respectée.
Précisions que la quote-part imposable reste fixée à 5% pour les dividendes perçus des autres filiales, notamment les filles françaises non-intégrées.
Concrètement, les groupes dont les dividendes perçus proviennent à 80% ou plus de filles françaises sont pénalisés par cette réforme, puisqu’ils passent d’une situation d’exonération totale à une situation d’imposition à hauteur de 1% des dividendes. En revanche, les groupes dont les dividendes perçus proviennent à 20% ou plus de filles dont le siège est situé en UE sortent gagnantes.
Ces nouvelles règles seront applicables pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2016.
L’impact en deuxième vague de cette réforme
La réforme a un deuxième impact, plus inattendu. Par principe, les sociétés intégrées calculent leur résultat fiscal individuellement selon les règles applicables en l’absence d’intégration fiscale, les ajustements étant réalisés au niveau du résultat d’ensemble, dans un second temps donc.
Toutefois, l’application de la nouvelle quote-part de 1% se fera dès le résultat individuel des sociétés, et non au niveau du résultat d’ensemble. Cet aspect « pratique » pourrait paraître anecdotique, mais se relève être potentiellement nuisible pour des groupes où la société mère a un résultat fiscal équilibré (nul ou faiblement positif) et dispose de déficits individuels élevés non-imputables sur le résultat d’ensemble.
L’ancien mécanisme, en incorporant une quote-part de 5% au niveau individuel neutralisée au niveau du résultat d’ensemble, permettait d’imputer partiellement ces déficits individuels sur le résultat d’ensemble.
Exemple : Considérons une société mère qui possède 20 de déficits et qui perçoit 100 de dividendes chaque année. Son résultat fiscal (hors quote-part sur dividendes) est de 0, celui des filles intégrées de 150.
Sous l’empire de l’ancien dispositif, la société mère calcule un résultat fiscal de 5 (0 + 100 x 5%), sur lequel elle impute une partie de son déficit individuel. Ainsi, la société mère apporte au résultat d’ensemble un résultat nul.
Résultat comptable mère : +100
Neutralisation dividendes : – 95
Résultat fiscal : + 5
Imputation des déficits : – 5
Résultat fiscal imposable : 0
Lors du calcul définitif du résultat d’ensemble, la quote-part de 5 est neutralisée :
Résultat mère : 0
Résultat filles : 150
Neutralisation QP : – 5
Résultat d’ensemble : 145
On constate donc que la société peut indirectement imputer 5 de déficits « individuels » sur le résultat d’ensemble.
Sous l’empire du nouveau dispositif (sans prendre en compte le fait que la quote-part maintenue soit de 1% et non plus de 0%), la société mère ne réintégrera pas de quote-part au niveau individuel et ne pourra pas imputer de déficits individuels sur son résultat fiscal.
Résultat comptable mère : +100
Neutralisation dividendes : – 100
Résultat fiscal : + 0
Imputation des déficits : – 0
Résultat fiscal imposable : 0
La neutralisation de quote-part n’a plus lieu d’être au niveau du résultat d’ensemble :
Résultat mère : 0
Résultat filles : 150
Neutralisation QP : 0
Résultat d’ensemble : 150
On constate donc bien que les nouvelles modalités pratiques d’intégration fiscale se révèlent être pénalisante, au-delà du maintien d’une quote-part de 1% dans le résultat d’ensemble.
En conclusion, cette réforme nous rappelle la supériorité du droit européen qui peut contraindre à la réforme de dispositifs aussi stables que l’intégration fiscale .